En matière de véhicules électriques, il y a d’un côté les décisions institutionnelles pour l’imposer à l’échelle européenne comme nationale, les discours omniprésents relayés par les médias vantant leurs mérites, leurs progrès et leur importance pour la transition énergétique, les campagnes de publicité incessantes des constructeurs et de l’autre côté, la réalité de l’opinion. Cette dernière fait clairement de la résistance face à un rouleau compresseur.
L’illustration en est encore fournie par un sondage rendu public il y a quelques semaines, réalisé par l’IFOP pour le loueur SIXT baptisé Observatoire des Mobilités et dont c’est la troisième édition. L’étude (ici en version PDF) brosse le portrait, sans surprise, d’une France coupée en deux avec d’un côté, la France qui va bien et a acheté un véhicule électrique et s’en montre très satisfaite ou va le faire prochainement, et de l’autre une majorité réticente, inquiète et loin d’être convaincue.
«Un clivage important de la société française…»
«L’étude dévoile un clivage important dans la société française concernant le véhicule électrique. Ceux qui estiment que le véhicule électrique constitue une bonne solution pour lutter contre le changement climatique proviennent essentiellement des segments jeunes, urbains et diplômés du supérieur. Ce sentiment s’avère bien plus minoritaire chez les seniors, les ruraux et les moins diplômés. Ce sont ces dernières catégories qu’il faudra convaincre en priorité», explique Frédéric Dabi, Directeur général de l’IFOP.
Le paradoxe apparent est que les ventes de véhicules électriques progressent rapidement en France dans un marché effondré, avec plus de 200.000 véhicules vendus en 2022 (+25%). Pour autant, les intentions d’achat de véhicules électriques sont en baisse par rapport à l’année dernière. Ainsi, seuls 27% des Français déclarent avoir l’intention d’acquérir un véhicule électrique dans les prochaines années, un chiffre en diminution de 5 points par rapport à 2022.
Sources IFOP-SIXT.
Et surtout, les Français doutent de plus en plus de la réalité des performances environnementales des véhicules électriques. Ils ont bien compris qu’ils sont loin d’être une solution miracle mais l’ampleur de la défiance est inattendue et la versatilité de l’opinion toujours aussi grande. Ainsi, 42% des Français estiment que le développement de l’usage du véhicule électrique représente une bonne solution pour lutter contre le changement climatique, contre 58% «une mauvaise solution», une proportion exactement inverse à celle du sondage de l’année passée. En 2002, pour 58% des personnes interrogées la voiture électrique à batteries était «une bonne solution» et pour 42% «une mauvaise solution».
Sources IFOP-SIXT.
La réalité des avantages et inconvénients des véhicules électriques à batteries mérite d’être plus nuancée selon leurs usages, leur durée de vie et le caractère décarboné ou non de l’électricité qui permet de recharger leurs batteries. On peut résumer grossièrement en disant qu’ils présentent des avantages sur leur durée de vie en termes d’émissions de gaz à effet de serre réels mais relativement limités, d’autres bien plus significatifs en termes de pollution atmosphérique et des inconvénients certains liés à la quantité de métaux dits stratégiques nécessaires à leur fabrication et plus particulièrement celle des centaines de kilos de batteries qu’ils embarquent.
Logiquement, compte tenu de la défiance de l’opinion qui est sans doute liée en partie à la crise sociale et politique que traverse le pays depuis le début de l’année, seuls 33% des personnes interrogées estiment que l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique à horizon 2035 est «une bonne décision» (7% une très bonne décision) contre 67% qui jugent qu’il s’agit d’une «mauvaise décision» (33% une «très mauvaise décision»).
Sources IFOP-SIXT.
La distinction entre les deux France est encore plus flagrante quand les Français ayant fait le choix du véhicule électrique affichent un taux de satisfaction incroyable de 97% (dont 67% de «très satisfaits») qui confine au zèle des nouveaux convertis. La fracture apparait nettement quand on s’intéresse au profil de ces Français ayant acheté un véhicule électrique. Ils sont surreprésentés dans les catégories aisées (10% parmi ceux gagnant plus de 2.500 euros par mois) et diplômées (7% parmi les automobilistes diplômés du supérieur). Il y aussi une différence générationnelle importante, avec parmi les acheteurs une forte proportion de jeunes, 7% parmi les 18-24 ans et 11% parmi les 25-34 ans, contre 4% seulement dans la population générale et 1% parmi les plus de 50 ans…
Sources IFOP-SIXT.
Les critiques contre les véhicules électriques sont-elles sans surprises. Pas moins de 54% des Français considèrent en premier lieu que leur coût d’achat et de fonctionnement est trop élevé et 29% que l’autonomie de déplacement est trop faible, et cela même si les publicités permanentes annonçant des autonomies toujours plus grandes et parfois fantaisistes font que cet argument est en baisse de 5 points par rapport à 2022. Vient ensuite l’argument de la faiblesse du réseau de bornes de recharge accessibles au public et de sa disponibilité, même si les progrès existent.
La question clé du pouvoir d’achat
Mais le problème essentiel est évidemment celui du pouvoir d’achat. Seulement 16% des Français estiment que le véhicule électrique est plus économique que le véhicule thermique. Et dans le même temps, une large majorité (73%, + 5 points par rapport à 2022) indique qu’un prix moins élevé pourrait les inciter à changer d’avis et acheter un véhicule électrique. Cela signifie que la bascule vers le véhicule électrique dépendra avant tout de la mise en place de systèmes de financement permettant via un loyer modéré de louer un véhicule électrique, via par exemple le «leasing social» que le gouvernement a annoncé. La baisse des prix des véhicules d’entrée de gamme est aussi indispensable, ce qui compte tenu de l’inflation des coûts des matières premières ne sera pas rapide même si les constructeurs chinois qui vont bientôt débarquer en force lanceront vraisemblablement une guerre des prix et si Tesla, en haut de gamme, l’a déjà fait.