Dans le domaine de l’énergie, l’un des plus grands dangers pour avoir une vision réaliste des possibilités techniques et économiques est de céder aux modes. Ce que politiques et médias ont tendance souvent à faire en prenant leur désir pour la réalité et en sous-estimant les difficultés et les délais incompressibles pour rendre concrètes et opérationnelles de nouvelles technologies prometteuses. Les SMR (Small Modular Reactors) ou petits réacteurs nucléaires modulables en sont un bon exemple.
Ils ont beaucoup participé au retour en grâce dont bénéficie l’énergie nucléaire, mais les annonces depuis plusieurs années de progrès et de développements ne doivent pas masquer les obstacles, nombreux, techniques, de sûreté et sociaux, à l’industrialisation de ce type de petites centrales. Ceci dit, les perspectives restent très favorables pour les SMR et l’offre de réacteurs nucléaires commence maintenant à être structurée en trois catégories bien distinctes.
Des coûts et des délais de construction théoriquement maîtrisés
Les grands équipements de type EPR (EDF) ou Hualong pour la Chine et VVER pour la Russie, dont la puissance est bien supérieure à 1.000 MW, et les SMR (Small Modular Reactors) de deux types, les unités de taille moyenne (200-300 MW) et les mini réacteurs de 5-50 MW dont certains comme le Vinci de l’Américain Westinghouse sont suffisamment petits pour être mobiles. L’Agence de l’énergie nucléaire répertorie pas moins de 21 prototypes de SMR dont la taille varie de 5 à 300 MWs.
La raison principale de l’intérêt pour les SMR tient, selon les promoteurs de ses équipements, à leurs coûts et aux délais théoriques de construction très inférieurs à ceux des grands équipements. Pendant des décennies, les grands producteurs d’électricité ont considéré que les équipements les plus importants étaient toujours les plus économiques et les plus sûrs. Mais les difficultés techniques, financières et politiques accumulées pour construire de grands réacteurs de troisième génération, que ce soit l’EPR français à Flamanville ou Olkiluoto en Finlande ou Plant Vogtle (Westinghouse) aux Etats-Unis en Georgie, ont réfuté cette thèse.
Le BWRX 300 de General Electric Hitachi Nuclear Energy pourrait entrer en service en 2028
Les petits réacteurs sont considérés comme une réponse possible aux problèmes systématiques de l’emballement des coûts de construction et de retards des grands projets. Que ces problèmes soient le reflet de faiblesses dans la conception, l’exécution ou de réglementations devenus trop complexes et ingérables, peu importe. La construction miniaturisée, modulaire et industrielle des SMR apporte une réponse. Le réacteur et tous ses composants clés sont construits en usine et assemblés ensuite à partir de pièces préconstruites transportées par camion. Un chantier de 8 à 15 ans sur un réacteur de grande taille peut en théorie être mené en 2 ans avec une SMR. Cela doit permettre de réduire fortement les prix du KWh produit. Et ils ont des composants de même qualité que les grandes centrales, les réacteurs, les turbines, etc. mais simplement plus petits. La flexibilité des petits réacteurs (conçus à l’origine pour être mobiles et à usage militaire notamment dans les sous-marins) signifie qu’ils peuvent cibler une plus grande variété d’utilisateurs allant de systèmes de chauffage urbain, d’équipements de production d’hydrogène ou d’utilisateurs industriels comme les aciéries et les cimenteries.
Le BWRX 300 de General Electric Hitachi Nuclear Energy et celui de NuScale devraient faire partie de la première vague de réacteurs à recevoir aux Etats-Unis des licences d’exploitation commerciale. Un BWRX 300 pourrait entrer en service en 2028 dans l’Ontario au Canada. La technologie de ses deux SMR est « conventionnelle ». Ils sont refroidis par un système d’eau pressurisée.
Il est probable qu’il y ait une ou plusieurs vagues ultérieures de réacteurs d’autres technologies comme ceux refroidis au gaz à haute température ou aux sels fondus comme modérateur. La prochaine décennie devrait voir émerger de nombreux développements de nouveaux SMR.
Aujourd’hui, le plus avancé est le russe Rosatom qui a développé deux modèles de SMR issus des technologies militaires, le RITM-200 et le KLT40S qui a équipé récemment une petite centrale flottante. Et la France tente de rattraper son retard.
La France accélère avec Nuward
Lancé en 2019 par un consortium regroupant EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Groupe, le projet français Nuward (Nuclear Forward) (voir l’image ci-dessus) sera désormais porté par une entreprise du même nom, détenue à 100 % par EDF. Cette filiale, EDF devrait permettre d’accélérer le développement du SMR français et faciliter, par exemple, les échanges avec l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) qui n’aura alors qu’un seul interlocuteur. La filiale d’EDF devrait travailler avec de nouveaux partenaires comme la société nucléaire belge Tractebel.
Le projet Nuward de réacteur de 170 MW s’incrit dans le cadre du plan France 2030 et a reçu 500 millions d’euros de subventions publiques. L’architecture de base du réacteur est désormais définie. Un dossier d’option de sûreté devrait être déposé à l’ASN cette année en juillet. La technologie française intéresse plusieurs pays, comme la République tchèque, la Finlande, ou la Suède. Pour gagner du temps sur l’exportation du réacteur, des dossiers de certification seront soumis aux autorités de tchèque et finlandaise en même temps qu’aux autorités françaises.