À l’échelle mondiale, environ un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre proviennent de l’agriculture et des systèmes alimentaires. L’empreinte carbone de ces derniers comprend toutes les émissions issues de la culture, de la transformation, du transport et des déchets alimentaires. L’agriculture est également vulnérable aux effets des changements climatiques et, comme le montre le conflit en Ukraine, la géopolitique peut affecter les systèmes alimentaires.
Plusieurs technologies peuvent déjà contribuer à décarboniser les systèmes complexes qui relient producteurs et consommateurs. Elles peuvent aussi rendre nos systèmes alimentaires beaucoup plus résistants aux menaces mondiales. En voici cinq qui, selon nous, présentent un immense potentiel.
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Fermes de carbone et agriculture régénérative
De nos jours, la plupart des émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation proviennent de la culture des aliments et sont émises lorsque les sols sont labourés. C’est important de le savoir, car les sols qu’on laisse intacts stockent du carbone.
Il suffit toutefois de quelques changements relativement mineurs dans leur gestion pour que les sols redeviennent des réservoirs de carbone. Ainsi, le fait de planter des légumineuses et des cultures fourragères tous les deux ou trois ans, plutôt que de se contenter de cultures de base comme le blé ou le maïs, ou encore de semer des plantes de couverture à l’automne, pour éviter que les champs ne soient nus, permet à la matière organique de s’accumuler et aide le sol à absorber le carbone. En plus de contribuer à ralentir les changements climatiques, cela protège les sols de l’érosion.
L’idée de diversifier les cultures peut sembler très simple sur le plan technologique, mais elle fonctionne. De plus, une nouvelle génération d’outils agricoles intelligents, comme des équipements qui utilisent les mégadonnées et l’intelligence artificielle, aidera bientôt les agriculteurs à adopter des pratiques qui produisent des aliments tout en piégeant le carbone.
Les outils intelligents font partie d’une révolution agricole numérique, également connue sous le nom d’agriculture de précision, qui permettra aux agriculteurs de réduire leur impact sur l’environnement et de mesurer la quantité de gaz à effet de serre captée par leurs champs, créant ainsi un registre du carbone qui documente leurs efforts.
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Engrais intelligents
Pour transformer l’azote de l’air en engrais, il faut habituellement beaucoup de combustibles fossiles. De plus, il n’est pas facile pour les agriculteurs de mettre exactement la bonne quantité d’engrais au bon endroit et au bon moment pour que les cultures l’utilisent de manière efficace.
On répand souvent trop d’engrais. Ceux-ci ne sont alors pas absorbés par les cultures, ce qui engendre de la pollution, sous forme de gaz à effet de serre ou de contaminants dans l’eau. Mais la nouvelle génération d’engrais pourrait résoudre ces problèmes.
Les biofertilisants intelligents ont recours à des micro-organismes qui ont été cultivés ou modifiés pour vivre en harmonie avec les cultures, capter les éléments nutritifs de l’environnement et les fournir aux cultures sans gaspillage.
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Fermentation de précision
Depuis toujours, l’être humain utilise des micro-organismes pour transformer les sucres et les amidons en produits fermentés tels que la bière, le vin et le pain. Mais d’ici peu, on aura recours à la fermentation de précision pour fabriquer beaucoup d’autres produits.
Cette technologie sert depuis longtemps à créer presque toute l’insuline dans le monde ainsi que la présure, enzyme utilisée dans la fabrication du fromage. Les États-Unis ont récemment autorisé l’utilisation de protéines laitières fermentées d’origine non animale – obtenues en insérant des gènes producteurs de lait dans des microbes – dans la fabrication de crèmes glacées, qui sont désormais commercialisées. Ce n’est qu’une question de temps avant que les produits issus de la fermentation de précision ne deviennent courants dans les supermarchés du monde entier.
À l’avenir, si les micro-organismes de fermentation sont nourris de déchets (tels que les restes de drêche de brasserie ou les déchets d’amidon des protéines végétales), les agriculteurs pourraient créer des aliments à faible impact et à forte valeur ajoutée à partir de matières organiques qui, autrement, seraient gaspillées et se décomposeraient en gaz à effet de serre.
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Agriculture verticale
Si rien ne vaut les fruits et légumes frais, cueillis à maturité et mangés aussitôt, la triste réalité est que la plupart des produits frais consommés au Canada, dans le nord des États-Unis et en Europe du Nord proviennent de fermes industrielles du sud-ouest des États-Unis ou de l’hémisphère sud. L’empreinte carbone de cette chaîne du froid longue distance est considérable, et la qualité des aliments n’est pas toujours optimale.
Une nouvelle génération de fermes verticales peut changer la donne en ayant recours à des lampes DEL à faible consommation d’énergie pour faire pousser des aliments tout au long de l’année de manière locale. Ces installations agricoles à environnement contrôlé nécessitent moins d’eau et d’efforts que les exploitations traditionnelles, et produisent de grandes quantités de fruits et de légumes frais sur de petites parcelles.
Ces installations voient le jour un peu partout en Amérique du Nord et en Europe, mais plus particulièrement à Singapour et au Japon. Bien que la question de savoir si les fermes verticales actuelles sont meilleures en termes de consommation d’énergie fasse encore l’objet de nombreux débats, celles-ci sont de plus en plus enclines à utiliser des énergies renouvelables pour assurer un approvisionnement carboneutre en aliments frais tout au long de l’année, et ce, même dans le Nord canadien.
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Biogaz
Le fumier provenant des installations d’élevage est difficile à gérer, car il peut devenir une source de pollution de l’eau et de gaz à effet de serre. Toutefois, si le fumier est placé dans un digesteur anaérobie, il est possible de capter le méthane produit pour en faire un gaz naturel vert.
S’ils sont bien conçus, les digesteurs de biogaz peuvent également transformer les déchets organiques municipaux en énergie renouvelable, donnant ainsi à l’agriculture la possibilité de contribuer au développement de l’énergie durable. C’est ce qui se passe déjà dans des fermes de l’Ontario, où une nouvelle génération de digesteurs de biogaz permet d’augmenter les revenus des fermes et de remplacer les combustibles fossiles.
Encourager la transformation des systèmes
Ces technologies sont encore plus intéressantes lorsqu’elles sont reliées entre elles. Ainsi, les collecteurs de biogaz installés dans les fermes d’élevage pourraient fournir l’énergie nécessaire au fonctionnement des installations de fermentation qui fabriquent des produits laitiers d’origine non animale.
De même, si les protéines d’origine végétale, telles que celles provenant de légumineuses comme les pois, sont produites dans des fermes qui utilisent des techniques d’agriculture régénératrice et transformées localement, les restes d’amidon peuvent servir à la fermentation de précision. Bien que nous ne sachions pas si ce processus peut être mis en œuvre à grande échelle, ses avantages potentiels en matière de durabilité sont immenses.
Pour tirer parti de ces possibilités, il faut développer des entreprises agroalimentaires qui forment des systèmes alimentaires circulaires, de sorte que les déchets d’une étape deviennent des intrants précieux d’une autre étape. Un ajout essentiel aux systèmes alimentaires circulaires sera le suivi du carbone du champ à la table, de manière à souligner les bénéfices.
Les technologies permettant d’avoir une économie alimentaire circulaire carboneutre atteindront bientôt leur maturité. D’ici quelques années, les cinq technologies décrites ci-dessus devraient être utilisées couramment.
Le monde est aujourd’hui confronté à l’un des plus grands défis du siècle: comment bien nourrir la population mondiale croissante tout en s’occupant des changements climatiques et en évitant de détruire les écosystèmes dont nous dépendons pour vivre.
Mais nous devrions bientôt disposer des outils nécessaires pour nourrir l’avenir et protéger la planète.
Rene Van Acker Professor and Dean of The Ontario Agricultural College, University of Guelph
Evan Fraser Director of the Arrell Food Institute and Professor in the Dept. of Geography, Environment and Geomatics, University of Guelph
Lenore Newman Director, Food and Agriculture Institute, University of The Fraser Valley
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation Canada.