Les gouvernements, notamment en Europe, multiplient les décisions d’interdire la vente de voitures à moteur thermique. Le délai n’est souvent plus de 20 ans (2040), mais dix ans (2030). Comme il s’agit avant tout d’effets d’annonce et de communication politique pour montrer sa volonté de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre cinq ans après les accords de Paris, la faisabilité n’a pas une grande importance. La Commission Européenne d’ailleurs n’a pas l’intention de laisser aux seuls gouvernements le beau rôle et entend fixer sa propre date limite à 2035.
La voiture électrique à hydrogène attendra, il y a trop d’intérêts et d’investissements mis dans celle à batteries
Cela ne signifie pas la disparition sur les routes des moteurs diesel ou à essence, mais cela assure le développement du marché des véhicules électriques. Les ventes de véhicules électriques en Europe ont augmenté de 76% au 1er semestre 2020 et leur part de marché a atteint 7% durant cette période contre 3,5% en 2019. Elle pourrait, selon une étude récente de l’IFRI, se situer «autour de 12-15% dès 2022, et de 35-45% à l’horizon 2030». Une révolution sans précédent pour l’automobile, notamment parce qu’elle se fera dans un temps très court et plus encore parce qu’elle n’est pas dictée par les consommateurs ni les constructeurs, mais les gouvernements. Cela explique pourquoi les voitures électriques ne prennent dans le monde des parts de marché importantes que dans les pays où les subventions et les aides à l’achat sont massives. C’est le cas aussi bien en Chine qu’en Norvège, en Allemagne et en France. Et quand les aides sont supprimées, comme au Danemark et à Hongkong, les ventes s’effondrent… Autre illustration, l’Europe de la voiture électrique est aujourd’hui à deux vitesses. Celle des pays où les subventions à l’achat sont fortes, notamment au nord et à l’ouest, et les ventes augmentent rapidement et celle où les subventions sont faibles, à l’est et au sud, et les parts de marché tout aussi faibles.
Dans un premier temps qui risque de se prolonger de nombreuses années, les véhicules électriques à batteries lithium-ion domineront le marché plutôt qu’à hydrogène et pile à combustible. D’une part, parce que la filière hydrogène n’existe pas ou à peine. Ensuite, parce que la production d’hydrogène vert, par électrolyse avec de l’électricité décarbonée, s’annonce économiquement très peu compétitive et pour longtemps. Enfin et peut-être surtout parce que les constructeurs automobiles, sous la pression continue des gouvernements et de la Commission Européenne, n’ont pas investi des dizaines et des dizaines de milliards d’euros dans le véhicule électrique à batteries pour découvrir que cette technologie a un avenir des plus limités. Aujourd’hui, aucun constructeur ne gagne d’argent avec la commercialisation de voitures électriques. Il est très vraisemblable qu’une partie des grands groupes automobiles actuels ne survivra pas à cette mutation forcée. Dans le classement des sociétés les plus endettées au monde à la fin de l’année 2019, l’automobile est le secteur le plus représenté. Volkswagen est le numéro un mondial avec 192 milliards de dollars de dettes, Daimler Benz est quatrième (151 milliards), Toyota cinquième (138 milliards), Ford septième (122 milliards) et BMW huitième (114 milliards).
Il n’est pas sûr que les gouvernements et les institutions européennes mesurent toutes les conséquences sociales et économiques de leurs décisions. Il n’est pas sûr non plus qu’ils en assument un jour la responsabilité.
L’hydrogène vert sera donc, pour un certain temps, avant tout réservé au stockage de l’électricité renouvelable (en Allemagne ou en Australie) ou au transport de marchandises par camions, trains, navires. Jusqu’à ce que la pression du marché et des automobilistes, qui préféreront vraisemblablement un usage plus facile, fasse changer les choses.
Le véhicule électrique à batteries est imposé au consommateur, qu’il le veuille ou pas
Entretemps, le véhicule électrique à batteries leur sera imposé que les consommateurs le veuille ou non, en dépit de ses limites techniques et économiques bien réelles. Le rouleau compresseur publicitaire et de propagande n’u changeront rien. Même si les progrès sont sensibles depuis plusieurs années, la voiture électrique à batteries offre aujourd’hui des contraintes de prix d’achat et d’usage bien réelles. Ces dernières tiennent à son autonomie en condition réelle d’utilisation, à son usage limité (longs trajets, autoroute, montagne, tractage…) et aux contraintes de temps et d’infrastructure de recharge. Le développement lent des bornes publiques de recharge et les limites d’espace dans les métropoles et des réseaux électriques pour alimenter les bornes rapides ne facilitent évidemment pas les choses.
Autre problème, plus directement lié cette fois à l’objet même de l’existence du véhicule électrique, le niveau d’émission de gaz à effet de serre lors de sa fabrication et de son utilisation. Il s’agit normalement de la question essentielle. Le premier avantage indéniable est que les émissions de CO2 et de polluants sont délocalisées. Elles se font dans les usines qui fabriquent les batteries lithium-ion en Asie et plus particulièrement en Chine, dans les mines qui extraient le lithium en Australie et au Chili et dans les centrales électriques au charbon et au gaz qui produisent, un peu partout dans le monde, de quoi recharger les batteries.
Pollution et émissions de gaz à effet de serre plus réduites et surtout délocalisées
En terme d’usage, le véhicule électrique est bien plus vert que le véhicule à moteur thermique. D’une part, il émet moins de CO2, même avec de l’électricité d’origine fossile, pas de polluants atmosphériques comme l’oxyde d’azote et environ 50% de moins de particules fines. Celles qui proviennent du freinage et de l’abrasion des pneus sur la chaussée sont indépendantes de la motorisation.
Les émissions de gaz à effet de serre d’un véhicule électrique dépendent évidemment, lors de son utilisation, de la façon dont l’électricité qui lui permet de recharger ses batteries est produite. Un véhicule électrique en Chine fonctionne en quelque sorte au charbon à 50% et à 30% en Allemagne. Il est avant tout nucléaire et hydraulique en France (à 85%), ce qui lui permet d’émettre très très peu de CO2.
Mais si l’usage des véhicules électriques à batteries est favorable en matière d’émissions, ce n’est pas du tout le cas pour ce qui est de leur fabrication. Les émissions d’un véhicule électrique sont deux à trois fois plus mportantes lors de sa construction qu’un véhicule à moteur thermique, du fait avant tout des centaines de kilos de batteries qu’il embarque et qui utilisent d’importantes quantités de matières premières dont du cobalt, du nickel et le fameux lithium. Un marché qui mérite qu’on s’y intéresse.
Le lithium, un marché chaotique, un enjeu stratégique et un risque de pénurie
Le lithium est ainsi devenu la matière première stratégique de l’automobile électrique à batteries. Son pétrole en quelque sorte. Elle est abondante, mais son marché est compliqué voire chaotique. Selon la BP Statistical Review of World Energy, qui fait autorité, la production mondiale de lithium a ainsi baissé de 19,2% en 2019 à 77.000 tonnes métriques. Mais il s’agit tout de même d’une production près de quatre fois supérieure à celle de 2009.
Cette baisse de la production est liée à une offre trop importante et un effondrement des prix. La crise économique née de la pandémie de coronavirus n’a pas amélioré la situation. Ainsi, par exemple, le géant chinois du lithium, Tianqi Lithium, surendetté, doit trouver plusieurs milliards de dollars de refinancement d’ici la fin de l’année pour éviter la faillite. Et tout cela provient notamment du fait qu’il a contracté plusieurs milliards de dollars de prêts pour prendre une partie du capital du producteur chilien de lithium, Sociedad Chimica Y Minera de Chile. Le paradoxe est que le présent est sombre, mais l’avenir à moyen et long terme du lithium semble assuré. Selon une étude récente de la banque UBS, la demande de lithium dans le monde devrait être multipliée par huit au cours des dix prochaines années et les cours s’envoler car l’offre ne pourra pas suivre, faute d’investissements dans de nouvelles mines. Et toujours selon l’UBS, cela pourrait sérieusement limiter les capacités de production de véhicules électriques à batteries.
La France a du lithium, va-t-elle l’exploiter un jour?
Autre évolution surprenante, l’Australie a soudain dépassé l’an dernier largement le Chili pour devenir le premier pays producteur avec respectivement 52,9% et 21,5% de la production. Suivent la Chine (9,7%), l’Argentine (8,3%) et le Zimbabwe (2,1%). L’Australie a fait clairement un choix stratégique devenir le pays dominant du lithium. Et cela même, si ces réserves ne sont pas les plus abondantes. Elles représentent 18,1% de celles connues contre 55,5% pour le Chili, 11% pour l’Argentine, 6,5% pour la Chine et 4,1% pour les Etats-Unis. Et le monde n’est pas prêt de manquer de lithium puisque avec le niveau de production de 2019, les réserves connues permettent d’assurer deux siècles de production. Et il y en a d’autres. Y compris en France…
La France a aussi des capacités de production de lithium, notamment en Alsace. Les forages géothermiques réalisés le long du fossé rhénan ont permis de confirmer que l’eau chaude extraite contenait du lithium dans des proportions exploitables. Il serait possible de produire plusieurs milliers de tonnes par an et d’assurer une grande partie des besoins du pays et de celui des usines de batteries… qui doivent s’installer sur le sol français et européen dans la cadre de «l’Airbus des batteries». Mais la géothermie en Alsace vient de subir un coup d’arrêt.