Avec le zèle du nouveau converti, le gouvernement français affiche aujourd’hui ses grandes ambitions dans l’hydrogène. Il vient ainsi le 11 janvier de doter le pays d’un Conseil national de l’hydrogène. Quel virage! Jusqu’au début de l’année, les pouvoirs publics étaient hostiles ou au mieux indifférents à l’hydrogène. La PPE, la fameuse Programmation pluriannuelle de l’énergie, rendue publique en avril dernier pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028, fait à peine allusion à l’hydrogène. Au début de l’année 2020, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France (RTE) avait même commis un rapport qui était un enterrement de première classe de l’hydrogène. Ce rapport a aujourd’hui, quelle surprise, disparu du site de RTE…
Le modèle allemand
Car quand l’Allemagne a décidé en juin 2020 d’investir 9 milliards d’euros dans l’hydrogène vert et a affirmé vouloir devenir le numéro un mondial de cette énergie, la France a soudain changé d’avis. Deux mois plus tard, le gouvernement annonçait mettre 7 milliards d’argent public pour développer cette forme d’énergie. L’Union Européenne est aussi tombée sous le charme. Ainsi, 23 Etats-membres ont signé le 17 décembre 2020 un manifeste pour le développement d’une chaîne de valeur de l’hydrogène.
On ne peut sur le principe que se féliciter de la création d’un Conseil de l’hydrogène. Même si son rôle est loin d’être clair et si de nombreuses questions techniques et économiques sont loin d’être résolues sur cette forme d’énergie. Mais l’hydrogène décarboné est aujourd’hui le meilleur moyen de stocker de l’électricité renouvelable et le seul vrai carburant de substitution à l’essence, au diesel et au gaz naturel dans de nombreux domaines d’activité. Cela est tout particulièrement le cas dans les transports sur longue distance, les transports lourds, la production de chaleur et l’industrie.
Cela dit, le Conseil national de l’hydrogène, présenté conjointement lundi 11 janvier par les ministères de l’Economie, de la Transition écologique, de la Recherche et de l’industrie, a toutes les apparences d’une machinerie administrative à la française. Il se réunira dans les prochaines semaines dans le cadre du Conseil national de l’industrie et associera Régions de France et une quinzaine de groupes industriels. Sa mission, explique le gouvernement, sera de «structurer les échanges entre l’Etat et les parties prenantes, en particulier les filières industrielles, et mesurer le bon déroulement des actions prévues pour identifier, le cas échéant, les éventuels freins». Mais de quel pouvoir disposera-t-il pour lever «les éventuels freins»?
Objectifs politiques contradictoires et rivalités industrielles
Il va aussi devoir concilier les objectifs souvent contradictoires et les rivalités des quatre ministères impliqués et les intérêts franchement divergents de groupes industriels concurrents y figurant, d’EDF à Engie en passant par l’Air Liquide, Total ou le CEA. Si le Conseil parvient à prendre des décisions et à obtenir qu’elles soient appliquées, cela tiendra du miracle.
On voit d’ores et déjà apparaître les conflits potentiels. Le ministère de la Transition écologique vient juste il y a quelques jours d’ouvrir une consultation sur son projet d’ordonnance relative à l’hydrogène. L’article 52 de la loi énergie-climat de 2019 prévoyait que le Gouvernement définisse les règles du soutien accordé à cette forme d’énergie via une traçabilité de l’hydrogène. Il s’agit de bien distinguer l’hydrogène issu des renouvelables, l’hydrogène bas-carbone et l’hydrogène provenant des énergies fossiles. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) a pourtant mis en garde le ministère de la Transitions écologique sur la mise en place d’un processus administratif d’une grande complexité avant même qu’une filière d’hydrogène vert ait commencé à exister…
La France a l’intention d’investir 7 milliards d’euros d’ici 2030 (dont 2 milliards d’ici 2022 dans le cadre du plan de relance) pour créer de toutes pièces cette filière d’hydrogène décarboné. L’objectif annoncé est de produire par an d’ici 2030 environ 1,35 million de tonnes décarboné à 52%. Cet hydrogène bas carbone sera fabriqué par électrolyse avec de l’électricité renouvelable ou nucléaire ou par reformage du gaz naturel mais avec capture du CO2 émis lors du processus. Reste à savoir aussi à quels usages il sera destiné?
La France n’a pas du tout les mêmes besoins que l’Allemagne
Car la France n’est pas l’Allemagne. Les problématiques énergétiques des deux pays sont différentes. L’Allemagne est en quelque sorte contrainte de passer à l’hydrogène. Elle espère ainsi remédier aux problèmes de sa révolution énergétique, la fameuse Energiewende. A savoir, l’intermittence de la production d’électricité provenant des renouvelables. Elle a investi massivement depuis des décennies dans l’éolien et le solaire, mais cela contraint le pays à avoir en permanence des centrales capables de prendre le relais, dites pilotables, pour faire face en temps réel à la demande. Et comme l’Allemagne a décidé d’abandonner le nucléaire, les centrales pilotables fonctionnent au charbon et au lignite et émettent des quantités considérables de gaz à effet de serre. Ce sera encore le cas quand le charbon sera remplacé progressivement par du gaz naturel. L’hydrogène apparait aujourd’hui comme le meilleur et presque le seul moyen de stocker massivement de l’électricité renouvelable.
Pour la France, la question se pose différemment. Elle produit déjà une électricité très décarbonée grâce au nucléaire. L’hydrogène doit donc avant tout servir dans les transports, la production de chaleur et l’industrie. Mais dans ces trois domaines, les technologies sont encore balbutiantes.