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L’Allemagne plonge dans une crise énergétique majeure


Des travaux de maintenance, prévus de longue date, ont été lancés le 11 juillet par le géant russe Gazprom sur le gazoduc Nord Stream 1 qui alimente l’Allemagne et l’ouest de l’Europe en gaz naturel via la mer Baltique. Mais rien ne permet d’affirmer qu’après les dix jours prévus de travaux, les livraisons reprendront. Les gouvernements allemand et français prévoient même une coupure définitive en rétorsion des sanctions prises par les Occidentaux contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février. La pénurie prévisible de gaz en Allemagne aura de lourdes conséquences économiques et sociales.

Les Allemands se préparent tant bien que mal au scénario du pire, l’arrêt de toute livraison de gaz russe. C’est déjà le cas depuis le lundi 11 juillet, puisque le gazoduc russe Nord Stream 2 qui approvisionne l’Allemagne et l’Europe de l’ouest via la mer Baltique a été mis à l’arrêt. «Nord Stream est arrêté (…) cela signifie que le gaz ne circule plus», a confirmé Robert Habeck, le ministère allemand de l’Economie.

Officiellement, durant une dizaine de jours pour des opérations classiques de maintenance. Mais les autorités allemandes craignent qu’il ne redémarre pas et que ce soit ainsi une mesure de rétorsion de Moscou après les séries de sanctions prises par les Occidentaux contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février. Cette possibilité de coupure est d’autant plus grande que les livraisons ont déjà été réduites de 60% depuis la mi-juin, officiellement pour des raisons techniques, ce qui complique encore le remplissage des sites de stockage avant l’hiver. En cas d’arrêt pur et simple de Nord Stream 1, l’Allemagne, l’Italie voire la France seront dans l’impossibilité de remplir leurs installations de stockage de gaz à hauteur des 90% visés pour affronter l’automne et l’hiver dans des conditions moins difficiles à gérer.

«Poutine va nous fermer le robinet de gaz… mais le rouvrira-t-il un jour?», s’inquiétait dimanche le quotidien Bild, le plus lu d’Allemagne. Comme une confirmation Gazprom a réduit lundi 11 juillet ses livraisons à l’Italie et l’Autriche, respectivement d’un tiers et de 70%, ont indiqué les énergéticiens OMV et ENI. Les deux pays sont en partie approvisionnés par le gazoduc Nord Stream 1 mais aussi par le gazoduc TAG qui passe par l’Ukraine.

Au cours des derniers jours, Berlin a tout fait pour convaincre le Canada de restituer une turbine destinée à Nord Stream 1, qui était en maintenance dans le pays, mais bloquée par l’embargo des occidentaux. L’Ukraine a protesté mais les intérêts européens poussent dans l’autre sens. L’Allemagne ne voulait pas donner un argument supplémentaire à Moscou d’interrompre ses livraisons de gaz. Pas sûr que cela change quoi que ce soit.

Pénurie de gaz et triplement de la facture d’énergie

«Nous courons à la pénurie de gaz», a prévenu Robert Habeck, en demandant à ses concitoyens de faire des économies et de prendre des douches plus courtes et plus froides. «Si nous ne recevons plus de gaz russe, les quantités actuellement stockées ne suffiront que pour un ou deux mois», explique Klaus Müller, le président de l’Agence fédérale des réseaux. Il évoque pour les consommateurs le spectre d’un «triplement» de leur facture d’énergie. Pour Axel Gedaschko, chef de la fédération des entreprises allemandes du logement: «la situation est plus que dramatique». Il estime que «la paix sociale de l’Allemagne est en grand danger».

En France, le ministre de l’économie Bruno Lemaire fait exactement les mêmes prévisions. «Préparons-nous pour une coupure du gaz russe. C’est aujourd’hui l’option la plus probable», a-t-il souligné dimanche 10 juillet, aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence. «Il faut nous mettre en ordre de bataille maintenant sur l’organisation, le délestage, la sobriété, la réduction de consommation… c’est maintenant que nous devons prendre les décision», a-t-il ajouté. Des propos relayés par la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, qui dans un entretien au Figaro explique qu’«’Il faut se mettre dans le scenario du pire, car il existe. À tout moment, la Russie peut interrompre totalement ses livraisons de gaz».

Le Parlement allemand a adopté le 7 juillet un premier plan qui prévoit un recours accru aux centrales à charbon et des mesures d’économies. Ainsi, la centrale au lignite de Bexbach, classée comme l’une des plus polluantes d’Europe, qui avait été «mise en réserve» en 2017, va reprendre du service. La nouvelle loi prévoit également que le chauffage dans les bureaux ne pourra pas excéder les 20 °C cet hiver.

Un impact sur l’activité industrielle

Plus de la moitié des foyers allemands étant chauffés au gaz, les bailleurs commencent à prendre les devants. Le premier groupe immobilier, Vonovia, a annoncé qu’il allait limiter à 17 °C la nuit la température du chauffage central dans ses 350.000 logements. Près de Dresde, une coopérative immobilière a décidé de couper l’eau chaude la nuit dans ses 600 logements. Beaucoup d’efforts ont déjà entrepris pour diversifier les approvisionnements. Avant l’invasion de l’Ukraine, l’Allemagne dépendait à 55% du gaz russe pour ses importations, contre 35% début juin. Mais cela devient presque impossible maintenant de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement.

L’inquiétude grandit dans les milieux patronaux allemands pour l’hiver prochain. «Il est possible que nous introduisions à nouveau plus de télétravail pour une durée limitée, comme lors de la pandémie. Mais cette fois-ci pour économiser de l’énergie», a expliqué dans la presse Carsten Knobel, le patron du groupe Henkel. Depuis plusieurs semaines, les poids lourds de l’industrie alertent sur les conséquences d’une pénurie de gaz. BASF, dont les turbines fonctionnent avec du gaz russe, évoque une possible mise en chômage partiel d’une partie des salariés.

Eviter la faillite d’Uniper, premier opérateur gazier en Allemagne

Le gouvernement allemand à une autre priorité encore plus urgente. Sauver Uniper, le premier opérateur gazier en Allemagne. Il a appelé l’État au secours la semaine dernière. Faute de gaz russe, il est contraint de s’approvisionner à prix d’or sur les marchés sans pouvoir répercuter cela dans ses tarifs. Ses pertes avoisinent «plusieurs dizaines de millions d’euros par jour», et la «situation n’est plus tenable longtemps», affirme son Pdg, Klaus-Dieter Maubach. Les pertes de l’entreprise pourraient atteindre «jusqu’à dix milliards d’euros» cette année. Klaus-Dieter Maubach annonce «qu’il ne peut pas tolérer la situation actuelle longtemps et qu’il pourrait être obligé de commencer à puiser du gaz dans ses installations de stockage dès la semaine prochaine, ce qui réduirait encore les réserves nécessaires pour l’hiver prochain.» Pour commencer, il demande une aide de 9 milliards d’euros pour éviter la faillite.

Selon la presse allemande, l’État fédéral pourrait entrer au capital d’Uniper, mais le gouvernement demande d’abord que son principal actionnaire, le finlandais Fortum qui contrôle 80% d’Unipare, apporte des capitaux. Celui-ci s’y refuse, expliquant avoir déjà octroyé 8 milliards d’euros de prêts et de garanties.

Maintenant, il est aussi possible que Moscou continue à fournir au compte-gouttes du gaz pour maintenir la pression sur les pays européens et notamment l’Allemagne. Il y aussi des raisons techniques à cela, il sera difficile à Gazprom de stopper net longtemps toutes ses livraisons via Nord Stream. On ne peut pas fermer comme cela les puits sibériens où le gaz est exploité et les capacités de stockage ne sont pas extensibles.

 

La rédaction